L’EUROPE : Stop ou Encore ?
(Rappel en 2022 d’un passé certes révolu, mais tellement récent dans l’échelle du temps.)
- 1951 : 6 pays créent la C.E.C.A. pour 50 ans : Communauté européenne du Charbon et de l’Acier. C’est un accord strictement matériel, pour remplacer les frontières et les taxes en vue de développer des volumes et de l’emploi. ( Robert SCHUMAN est né à Luxembourg, car il n’y avait pas de maternité à Thionville, en France ).
- 1957 : Traité de Rome. Les mêmes pays ( Allemagne, France, Benelux, Italie ) signent 2 traités : la Communauté Economique Européenne ( CEE ) et l’EURATOM dans le domaine de l’énergie nucléaire. C’est un succès tant dans les opinions ( plus de guerre ) que dans le monde des affaires.
- 1960 : les Britanniques veulent imiter cette réussite en fondant l’Association européenne de Libre-échange ( EFTA ). Il ne s’agit que de faciliter le petit et le grand commerce, ce qui ne décollera jamais.
- 1973 : se sentant de plus en plus hors du coup et sans perspectives autres que comptables, les Britanniques, les Irlandais et les Danois quittent l’EFTA et adhèrent à la C.E.E. ( on ne parle pas encore d’Union européenne ).
- 1981 : admission de la Grèce pour sceller le retour irrémédiable à la démocratie,
- 1986 : adhésion de l’Espagne et du Portugal,
- 2004 : entrée de 8 pays de l’Est et de Chypre,
- 2007 : adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie ( qui restent les plus pauvres … et les plus corrompus ),
- 2013 : la Croatie rejoint l’Union.
- En 2020 : le Royaume-Uni quitte l’Union, c’est le « Brexit ».
Il ne faut surtout pas oublier que l’Union Européenne ( U.E. ) née comme telle, en novembre 1993, de l’adoption et des ratifications du Traité de Maastricht, se fit sur une base strictement associative et très majoritairement économique.
Chaque pays n’a que très peu concédé de son pouvoir et de sa souveraineté.
Nous en reparlerons, car la crise sanitaire a montré les limites d’un système égoïstement associatif : chaque pays ( et même certaines de nos Régions ) voulut commander ses masques et ses potentiels vaccins. Nous eûmes 27 protocoles sanitaires non-coordonnés, des avions cloués au sol, des touristes pris en otages, etc. Depuis deux ans, nous osons parler de plus de fédéralism, même si ça reste dans des domaines très limités, toujours sur des bases volontaires impliquant des ratifications tatillonnes des Parlements nationaux.
Rome ne s’est pas faite en un jour … La portée de son Traité non plus.
Je saisis cette opportunité pour rappeler quelques notions de droit qui ont prévalu lors de récents développements de l’Union. Le principe fondamental est la libre association et toute modification du périmètre ou des objectifs doit faire l’objet d’une ratification par les Parlements nationaux. La crise catalane nous le rappela, sans l’ombre d’une hésitation. Qu’il s’agisse de 83 millions d’allemands, de 515.000 maltais ou de 600.000 chypriotes. Aucun pays ne fut forcé de rejoindre l’Union européenne « à l’insu de son plein gré ». Nous sommes très loin du modus operandi des Etats-Unis d’Amérique.
Je me permets 2 petites précisions : la Souveraineté, et les Ratifications.
La Souveraineté
C’est le pouvoir suprême reconnu à l’Etat, qui implique l’exclusivité de sa compétence sur le territoire national ( = la souveraineté interne ) et son indépendance absolue dans l’ordre international où il n’est limité que par ses propres engagements ( = la souveraineté externe ). Rien n’interdit donc à ce qu’un Etat s’oblige à s’imposer des contraintes externes auxquelles il a librement consenti dans le cadre de négociations avec des tiers, à défaut de quoi sa signature lors d’un traité serait dépourvue de toute crédibilité.
C’est malheureusement ce qui se passe aujourd’hui avec la Pologne, la Hongrie, et dans une mesure moindre avec la Slovénie.
La Cour européenne de Justice ne s’y est pas trompée. Pour intégrer l’Union en 2004, pour bénéficier des aides, des marchés, des subsides et des ouvertures, ces pays ont volontairement accepté et ratifié les grandes lignes des principes fondamentaux de l’Union européenne . Citons les plus explicites :
- L’interdiction de la peine de mort,
- La liberté des juges et de la justice suivant la répartition en 3 pouvoirs ( exécutif, législatif, judiciaire ) si bien expliquée par MONTESQUIEU.
- La libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux validés ( c’est ce qui fit que la Norvège, cependant demanderesse, ne rejoignit pas l’U.E. pour ne pas partager ses réserves de pétrole ),
- La monnaie unique sous contrôle d’une Banque centrale. Les 27 pays sont membres de la B.C.E., proportionnellement à leur poids économique et à leur population. 8 pays ont demandé, et obtenu, des délais de mise en œuvre de l’€. La zone euro = 19 pays = 81,3 % du capital de la B.C.E. et 8 pays se sont engagés à rejoindre cet euro, un jour. La Pologne pèse 6 %, la Suède : 3 %, elles sont membres de la B.C.E. sans avoir généralisé l’euro.
- Un système unique et transfrontalier de taxation des transferts : la T.V.A.
- Ce que refusa la Suisse, par « votation ». La Suisse resta donc hors de l’Union européenne, alors que comme les Norvégiens, ils contribuent aux coûts du marché unique comme à celui des contrôles aux frontières ( ce sont les accords de Schengen ) sans pouvoir prendre part aux décisions.
- Et bien d’autres domaines plus techniques, mais toujours préalables à la demande d’adhésion d’un pays. Et non négociables, comme la Turquie ne semble toujours pas l’avoir compris.
Les Ratifications :
Lorsque de nouveaux traités ou de nouvelles compétences ( on a franchi le pas avec les achats de vaccins, mais toujours pas pour l’agrément des médicaments, où des collèges de médecins dans 27 pays perdent leur temps à refaire les études de l’Agence européenne ) désirent déroger aux engagements initiaux, ces modifications du périmètre préalablement validé doivent toujours s’accompagner d’un processus de ratification. Chaque pays est souverain pour accepter ou refuser ce changement. Le Traité de Lisbonne est formel.
Ce sont des matières vivantes, parfois vitales pour certains pays, souvent un petit peu technocratiques, mais qui sont très importantes pour assurer le respect de tous et de chacun dans un ensemble riche, grand de sensibilités et de cultures, peuplé de 447 millions d’habitants. La 2ème économie mondiale.
Peu de gens s’y attardent. Cependant ces ratifications par chacun des Parlements nationaux assurent la cohérence de la Souveraineté externe de l’Union, avec les Souverainetés internes qui, par nature, sont non-discutables. La médiocrité des polémiques électoralistes et/ou populistes n’en sont que plus navrantes et hors de propos.
Comment rassembler positivement tout ce petit monde ? Comment bien se projeter grâce à une économie riche et confortable mais où les inégalités et les égoïsmes continuent de croître ? Sous nos fenêtres et dans nos rues comme nous le soulignent les études de Joseph STIGLITZ ou de Thomas PIKETTY ?
Comment redonner du souffle et de l’enthousiasme aux outils européens, dont on ne voit – à tort – que le poids, que le coût ou que l’inutilité supposée ? Je cite : la courbure de la banane, la taille des pommeaux de douche, l’épaisseur de la pizza napolitaine, ou la polémique sur la fonction intestinale des pruneaux d’Agen. Nos lobbies français ne sont pas en reste, comme vous pouvez l’imaginer, ni meilleurs ni pires que les autres.
Cessons de relayer les caricatures d’une bureaucratie pesante et stérile.
Il y a 3 Institutions pour piloter l’Union Européenne :Un exécutif ( la Commission ) sous la Présidence de Mme von der LEYEN. Avec des Commissaires de belle qualité : VESTAGER ( concurrence ), BRETON ( industrie ), TIMMERMANS ( climat ), REYNDERS ( justice ), …
- Un législatif ( le Parlement européen ) qui travaille fort bien : 751 eurodéputés qui se réunissent à Strasbourg et en commissions actives à Bruxelles. ( vs 577 députés et 348 sénateurs, rien qu’en France ). Sous la Présidence de Mme METSOLA.
- Un Conseil des Chefs exécutifs, qui est le rendez-vous (au minimum 2 fois par an) des 27 chefs d’Etat ( les Sommets assurent la cohérence des Souverainetés internes et externes ), sous la Présidence de Mr MICHEL.
Il y a 32.000 fonctionnaires européens, contre 52.000 rien qu’à la ville de Paris. Probablement aussi utiles les uns que les autres. Evitons les clichés.
Que peut-on attendre et espérer ? Le départ des Britanniques, qui ne voyaient dans l’Europe qu’un plus grand marché, et qui bloquaient depuis 40 ans toutes les extensions de la Souveraineté externe ( Schengen, Euro, Frontex, budgets, etc. ), permet de rêver à une certaine dynamique fédérale en Europe.
Mieux de « Subsidiarité ».
Il s’agit ni plus ni moins que de ne pas faire remonter à un échelon supérieur ou central les décisions, qui peuvent être prises par les proches citoyens ou les Régions directement concernées. Souvenons-nous des Danois qui voulaient faire interdire les corridas en Espagne. Ou ces Hollandais voulant interdire les fromages au lait cru en France. « Quand tu diffères de moi, tu m’enrichis » nous écrivait Saint-Exupéry. Balayons chacun un petit peu devant notre porte ; et arrêtons de juger ou de comparer systématiquement les voisins.
Plus de décisions majoritaires, moins de recours systématiques à l’unanimité.
Cessons d’agiter en permanence le chiffon rouge de la Souveraineté pour des sujets qui ne le méritent pas. L’Europe mérite mieux que ces incessants chantages, blocages, prises d’otages et rapports de forces entre nos Nations. Des réussites comme Airbus ou Galileo, la place mondiale de l’Euro, la puissance de notre recherche, nous démontrent que nous méritons mieux que des querelles de clochers.
Une question : défendons-nous nécessairement mieux nos intérêts partagés et les populations minoritaires par des règles d’unanimité plutôt que par des mécanismes de sauvegarde, de protection ou d’arbitrages ? Nos enjeux stratégiques et mondiaux : batteries et semi-conducteurs, défense et armée européenne, nos modèles coopératifs ou mutualistes comme nos S.C.O.P., la recherche médicale, la biodiversité et le dérèglement climatique… méritent mieux que 27 pédales de frein.
Un cadre institutionnel pourrait utilement compléter les règles d’unanimité du Traité de Lisbonne. Sans déroger aux notions de Souveraineté que nous avons définies, des mécanismes de majorités qualifiées en nombre et en volume pourraient utilement remettre les grands acteurs européens et nos grandes causes dans la classe mondiale. Pourquoi Siemens et Alstom n’ont-elles pas pu fusionner, face à l’hégémonie des TGV chinois en devenir ? Pourquoi 70 % des vaccins Covid sont-ils fabriqués en Europe, sans que nous en ayons la maîtrise des droits ? Pourquoi les batteries automobiles sont-elles importées à 95 % ( 50 % de Chine, 25 % du Japon, 15 % de Corée, les miettes aux autres ) ? Pourquoi les GAFAM nous imposent-ils le Cloud américain et leurs paradis fiscaux ? La liste est encore longue.
Grâce au mécanisme des décisions de la Banque Centrale européenne ( qui sont des décisions majoritaires conformes à des statuts de droit commun ) l’Union Européenne, réunie en Sommet en décembre 2020, a trouvé les financements dans les marchés de capitaux, hyper-liquides et à taux zéro, pour assurer le « Plan de Relance post-Covid » de 750 milliards d’€. (Dont 38 Mds de subventions et 32 Mds de crédits L.T. rien que pour la France.) Avec 3 contraintes imposées aux bénéficiaires : 27 % minimum en Green-deal, 20 % pour la digitalisation et 20 % pour la mobilité et les infrastructures durables.
Idem pour ce qui est du « Budget d’investissements 2021/2027 », une grande nouveauté à 1.074 milliards d’Euros. Cibles retenues : l’ordinateur quantique, la propulsion hydrogène, le Cloud européen, les batteries, les puces électroniques à multiplier par 4 en 8 ans, la fusion nucléaire, l’Internet des objets, la big-data et l’intelligence artificielle. En prescrivant un objectif de partages transnationaux des retombées de ces très grands projets.
Notons que, sans besoin de financements additionnels, les budgets des 27 pays européens en matière de Défense sont 3 fois supérieurs au budget de la Russie. Pour l’essentiel nous achetons du matériel américain, chacun pour soi.
Il n’est pas déraisonnable de vouloir prouver le mouvement en marchant, gentiment, résolument.
Saurons-nous saisir notre chance et l’opportunité géostratégique qui ne nous oblige nullement à n’être que des observateurs des velléités d’une hégémonie américaine ou chinoise trop ciblée sur l’exclusion et la consommation ? Notre histoire, aussi belle que souvent violente, nous a appris à nous détourner des rapports de forces et des excès des Pouvoirs, avec sagesse et responsabilité. Il serait dommage de ne pas tenter d’appliquer nos enseignements et nos forces à parfaire la beauté de la construction européenne qui mérite des ambitions renouvelées.
Acceptons-en l’augure avec enthousiasme et patience.
Marc WAUTHOZ