Le statut et les règles de gestion des établissements publics sont devenus incompatibles avec la souplesse nécessaire pour faire face aux enjeux d’une évolution permanente, estiment les deux directeurs d’hôpital Guy Collet et Gérard Vincent.
La crise sanitaire que traverse notre pays a fait éclater au grand jour celle de l’hôpital, secoué depuis plusieurs mois par les difficultés des services d’urgences et plus profondément par le malaise des professionnels de santé. Il ne s’agit pas aujourd’hui d’en chercher les causes ni les responsabilités. L’heure est à la cohésion nationale derrière un gouvernement de crise. Il appartiendra à la représentation nationale d’en débattre. Nul doute qu’à cette occasion, nombre d’irresponsables se délecteront de débats stériles qui ne feront qu’ajouter à la confusion.
Le président de la République a annoncé un plan massif de soutien aux hôpitaux et aux hospitaliers. Cela est juste, même si la prise de conscience est tardive. Mais rien ne serait pire que de se contenter de mesures salariales, sans se poser la question du rôle et de la place du service public dans le système de santé, de la définition de ses missions, de son organisation, de sa régulation comme de sa capacité à s’adapter en permanence.
Le pire serait que la crise soit le prétexte aux revendications idéologiques de toute nature qui, dans le secteur de la santé, s’expriment, le plus souvent, par un renforcement des règles statutaires exclusives, étatiques et centralisées. Le risque est réel que ces poncifs d’un autre âge trouvent audience parmi certains professionnels de santé du secteur public, qui réclament, par exemple, de manière irresponsable le retour du budget global et la fin de la tarification à l’activité à l’hôpital. Enfin, il serait bien naïf de croire que le système de santé échappera demain à toute régulation, notamment financière.
Pour faire de la crise une opportunité, il convient à nos yeux de mettre en œuvre quelques idées simples qui demandent un peu de courage politique pour contrer les corporatismes. La santé publique concerne l’ensemble des Français, qui ont tous droit à un accès à des soins gradués sur tout le territoire. Les missions du service public doivent être clairement définies et ne doivent plus relever d’un quelconque monopole. Il faut sortir du débat mortifère public-privé. Si l’Etat, avec le Parlement, doit décider des principes du service public et de son financement global, la mise en œuvre doit être décentralisée et confiée aux régions, qui seront responsables du pilotage et de la régulation de l’offre de soins et médico-sociale, y compris sur le plan économique en cas de déficit, et du développement d’une véritable politique de prévention.
Le service public de santé doit inclure tous les professionnels sur un territoire, qu’ils travaillent en institutions ou à titre libéral. C’est cette appartenance à un système de santé solidaire qui justifie le financement public par l’Assurance-maladie dans un cadre contractuel qui fixera les missions de chacun. Le débat sur la liberté d’installation devient dès lors obsolète. Chacun doit exercer les missions qui lui sont assignées par le régulateur régional dans le cadre des contraintes fixées par l’Etat. Le financement des acteurs doit être mixte, forfaitaire pour la mission et à l’activité ou à l’acte pour rémunérer l’engagement des professionnels.
Des règles souples et responsabilisantes
En ce qui concerne l’hôpital, il est clair aujourd’hui que son statut propre, les corporatismes protégés par les multiples statuts professionnels et les règles de gestion d’un établissement public administratif sont devenus incompatibles avec la souplesse, la réactivité et l’efficacité nécessaires pour faire face aux enjeux d’une évolution permanente. On confond service public et fonction publique, alors que les statuts ne devraient être que des outils, et non une fin en soi. Les personnels hospitaliers ne réalisent pas que leur statut protège ceux qui n’ont pas envie que le système fonctionne et qui contestent tout en permanence. Les personnels motivés et engagés, c’est-à-dire l’immense majorité d’entre eux, n’ont pas besoin d’être protégés par des statuts qui ne confortent que les médiocres en toute impunité.
Le modèle des hôpitaux privés à but non lucratif apparaît aujourd’hui, même s’il n’est pas parfait, comme celui qui répond le mieux aux exigences d’efficience et de qualité de vie au travail. La gouvernance y est simple et ne recherche pas en permanence un équilibre des pouvoirs propice à l’immobilisme et à l’indécision. Le directeur est nommé par le conseil d’administration et responsable devant lui. Les personnels, médecins compris, sont recrutés sur contrat. La convention collective définit la rémunération minimum et chaque établissement fixe le niveau des rémunérations supplémentaires en fonction des performances négociées et mesurées. C’est clair, simple et responsable. Il est d’ailleurs intéressant de constater que nombre de directeurs et praticiens hospitaliers publics se tournent vers ce type d’établissements, las des lourdeurs de l’hôpital public.
Il n’est par ailleurs pas impossible que la crise actuelle remette en cause le modèle des cliniques commerciales, qui pourraient être amenées, elles aussi, à évoluer vers un système de fondations. La fusion des fédérations hospitalières actuelles en une fédération du service public de santé, à l’instar de l’Allemagne, serait une proposition à forte valeur symbolique. En conclusion, il est clair que la crise peut créer la possibilité d’une prise de conscience si un tel projet est porté par un consensus national au-delà des calculs politiques de circonstance. La loi « 3D » [décentralisation, différenciation, déconcentration] préparée par le Sénat en est l’occasion. Ajoutons que l’exemple des mesures d’urgence votées par le Parlement montre bien la nécessité de transgresser les règles administratives habituelles et de proposer un corpus de règles simples, souples et responsabilisantes, car il serait bien naïf de croire que quelques milliards injectés dans les hôpitaux suffiront à mettre fin au profond malaise actuel.
Guy Collet est directeur d’hôpital, conseiller général des établissements de santé. Il a été corapporteur du rapport Larcher sur l’avenir de l’hôpital en 2008, chargé de mission au cabinet de Roselyne Bachelot et conseiller en stratégie de la Fédération hospitalière de France.
Gérard Vincent est un ancien directeur d’hôpital et inspecteur général des affaires sociales. Il a été le président du Syndicat national des cadres hospitaliers, directeur des hôpitaux au ministère de la santé et délégué général de la Fédération hospitalière de France.