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DERIVE

DERIVE

A ma connaissance (mais elle est limitée), nul politologue n’a jusqu’à présent approfondi l’étude d’un phénomène que je juge capital : celui de DERIVE ; je dis capital, car il affecte toutes les institutions.

Par « dérive » j’entends une corruption progressive qui atteint toute institution ou régime, et l’éloigne de son principe initial.

Exemple : de siècle en siècle, il fallut réformer les monastères ; s’il est pourtant une institution d’un éminent sérieux, c’est bien celle-là. Officiellement, dans un couvent, il n’est d’autre souci que de plaire à Dieu ; or, quoique sacrée, la règle des réguliers s’y relâchait peu à peu, s’assouplissait, était tournée, parfois même oubliée...

Les forces vitales et sociales, sans cesse à l’œuvre, déforment peu à peu tout édifice collectif, quel qu’il soit.

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 Il est dans la nature du Pouvoir de changer et de se transformer. Quasiment toujours, il évolue mécaniquement dans le même sens.

MONTESQUIEU après ARISTOTE en a bien identifié l’irrésistible moteur : « Tout pouvoir tend à abuser du pouvoir » ; autrement dit, les puissants se servent de leur puissance pour accroître leur puissance. L’instinct de domination et d’impérialisme l’emporte. La nature du Pouvoir comporte cet instinct.

Le seul cas où un changement se dirige dans l’autre sens résulte non pas du cours automatique de l’évolution naturelle, mais d’une très consciente volonté politique de réforme, précisément opposée à la dérive automatique.

Une telle amélioration réfléchie est rare, car elle résulte le plus souvent d’une révolte ou surtout d’une révolution qui ruine le régime établi.

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 Que de fois, la presse nous informe que, dans tel ou tel pays, le chef au Pouvoir depuis dix à trente ans a progressivement verrouillé la vie politique. Devant une aussi fréquente « dérive », chaque fois orientée dans le même sens, et donc facile à prévoir, ne faut-il pas simplement comprendre que s’applique encore et encore la loi « Tout pouvoir abuse du pouvoir ? » Et anticiper, sinon empêcher, son effet.

Et surtout, quand l’occasion (rare) se présente de réformer la Constitution, il serait judicieux d’y inscrire des règles limitant le nombre de cumuls successifs.

On observe souvent que, tout au contraire, le despote finit par abolir un frein aussi fâcheux.

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Dérive politique. POLYBE aurait écrit sur ce phénomène. A vérifier.

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Dès qu’une thèse rassemble du monde, se présente au plus vite  quelqu’un pour en prendre la tête.

Bientôt on n’entend plus que lui : il parle très fort pour se faire entendre, autant dire connaître : il simplifie, il grossit, il appauvrit, il défigure ce qu’il prône ; on entend beaucoup plus parler de ce candidat que de ce qu’il prétend défendre.

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Toute institution est soumise à la loi de la dérive : peu à peu elle dévie de son projet initial ; ses principes se corrompent, sa morale s’atténue et se pervertit ; les candidats aux postes de commandement se livrent à l’inévitable guerre des EGO ; les violents usent de la force pour l’emporter… Après un siècle ou deux , on ne reconnaît plus grand-chose de la figure originale. Ni des motifs impérieusement raisonnables qui la firent se constituer.

Le fanatisme croissant de certains mouvements politiques les assimile peu à peu à des sectes. Au-delà d’un certain degré de foi, l’adhésion aux théories laïques rationnelles relève du même esprit de croyance que s’il était attaché à un dogme pieux.

On n’entend plus que ceux qui parlent haut et fort, pour faire parler d’eux-mêmes et, qui, pour se faire entendre des masses, réduisent la thèse en slogans simplistes. Ce grossier résumé répond au tout-puissant, car instinctif, « besoin de croire », qui domine tout un chacun.

Il me semble que, ces temps-ci, des mouvements tels que féminisme, écologie et anticolonialisme succombent à cette loi.

A ce sujet, peut-on imaginer dérive historique plus spectaculaire que celle du christianisme ? Partant de la morale foncièrement altruiste et généreuse de Jésus, cette foi aboutit après quelques siècles aux bûchers d’incroyants, comme aussi au fameux : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! »

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Il y a fort longtemps, les bergers s’aperçurent que le porc donne le ténia ; il était intelligent de le proscrire ; après un ou deux millénaires, la précaution judicieuse s’est changée et durcie en interdit religieux.

Les musiciens observent un procédé efficace ; ils le recommandent ; la recette peu à peu s’impose en règle. Après deux siècles, elle est intangible. Qui s’en écarte est vu comme un dangereux anarchiste.

Peu à peu, inévitablement, le raisonnable expérimental se sacralise en dogme.

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