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DOGMES, PRINCIPES et DOCTRINES

DOGMES, PRINCIPES et DOCTRINES.

Pas de communauté sans croyances communes ; elles sont indispensables à sa cohésion : elles la soudent.

Il est prépondérant : il est le bien imaginaire que les membres du groupe ont en partage, pour se ressentir comme parties d’un même ensemble ; le fiduciaire agglomère et cimente la collectivité ; il en manifeste l’existence sociale.

En politique, le dogme est initial ; il prime l’expérience, qui est observable après et généralement ne prévaut pas. Que l’événement montre l’absurdité d’une persuasion est sans conséquence sur la foi en cause ; quand bien même le respect du dogme entraîna un désastre, le dogme survivra et continuera longtemps à s’imposer.

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Idéologies, dogmes et principes expriment le plus souvent des instincts naturels, mais jamais regardés comme tels. Et même au contraire, on leur impute une origine prestigieuse.

Dans un troupeau, tous les animaux sont pareils, se comportent de la même façon et ne changent jamais leur façon de faire.

Aussi, tout être humain qui diffère est distingué et considéré avec surprise et souvent avec méfiance. La grégarité de notre espèce impose son effet, le refus du dissemblable, sans que nous en soupçonnions l’origine.

Tous les samedis, dans un brocante, un chineur original soulevait une grande curiosité, car il arborait chaque fois un costume singulier, jamais le même, quoique toujours à la mode d’un gentilhomme du XIXème siècle : moustaches en crocs, gilets brodés, bottes étincelantes…  Les regards du public trahissaient une manière de mépris réprobateur pour une telle singularité…

Voilà qui n’a rien de grave ; ce n’est pas toujours le cas. D’ordinaire, la majorité refuse, exclut, voire élimine les minorités.

Les enfants cèdent tranquillement à l’instinct ; il vaut mieux ne pas être rouquin dans une école où dominent les bronzés. Le malheureux se fait rosser dans la cour de récréation.

Un exemple frappant d’instinct, idéologiquement façonné, est le racisme. J’ai beau refuser pour moi-même ce que je considère comme un préjugé primitif, né d’une pulsion instinctive, j’ai plusieurs fois constaté que, pourtant et malgré moi, j’en subissais la loi animale.

Chaque fois que je rencontre une femme voilée à la musulmane, et donc arabe, j’éprouve d’emblée une sorte de gêne ; que je chasse aussitôt ; mais, en dépit de mes « idées », le sentiment instinctif s’est bien produit.

Une « sang mêlé » de mes amies rejoint une équipe d’ouvriers composée de deux noirs et d’un blanc ; c’est à lui qu’elle s’adresse. Or le chef était l’un des deux noirs ; choquée, elle me conte cet exemple de racisme instinctif et inconscient, l’affectant elle aussi, une « métisse » !

Que de fois, devant un groupe de noirs, de jaunes ou d’arabes, ai-je entendu le même refrain : « Ces gens-là ne sont pas comme nous ! ». A quoi, je réplique : « Vous n’émettez pas une opinion ; vous poussez un grognement animal ! »

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Un dogme a souvent pour objet de condamner une pratique. Et pour effet de culpabiliser. Il constitue donc une très efficace arme politique.

Il est plus facile de gouverner des sujets qui se sentent en danger de faute et craignent d’être pris en flagrant délit. Les insécures sont affaiblis.

La Loi désigne donc des coupables potentiels.

Pour se durcir en dogme indiscutable, toute théorie accuse des malfaiteurs : de nos jours, les écologistes ne cessent de dénoncer nos consommations excessives. Jadis, le christianisme mit en avant le sexe, avec le succès que l’on connaît.

Aussi les partisans d’un dogme ne le prônent pas n’importe comment. Le plus souvent, ils s’en servent pour accuser autrui ; pour eux l’avantage est qu’un coupable est affaibli. (C’est pourquoi les chefs politiques de tout temps favorisent les religions, car elles les mettent en mesure de dominer plus facilement leurs sujets.)

De nos jours, on observe que les doctrines à la mode n’ont pas la  sérénité des théories scientifiques : elles sont virulentes et suscitent des débats acharnés. Exemple : au sujet du réchauffement climatique, les écologistes font systématiquement le silence sur la part naturelle du phénomène (qu’expliquent fort bien les hommes de science), pour en rendre responsable l’homme et uniquement l’homme ; ce faisant, ils culpabilisent tant et plus. Alors, il se sentent forts dans leur dogme prioritaire, exactement comme un croyant dans sa foi religieuse.

Il en est de même d’autres thèses : ainsi, les anticolonialistes forcenés accusent les hommes actuels de crimes commis dans le passé.

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Des siècles durant, le bon peuple européen a cru à la monarchie « de droit divin » ; il n’y croit plus guère. De nos jours, il se fie plutôt au « néo-libéralisme du Tout-marché mondialisé ». Un dogme remplace un dogme.

Un point est sûr : dans les deux cas, la croyance assure la même fonction, qui est de défendre l’ordre établi ; elle le légitime.

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En gros, deux systèmes économiques s’opposent actuellement, justifiés par deux doctrines : capitalisme et communisme.

Si, pour les évaluer l’on choisit le critère du rendement : le capitalisme est supérieur au communisme. Un producteur alléché par le profit est plus efficace qu’un fonctionnaire toujours également rétribué, qu’il soit zélé ou nonchalant. L’appât du gain est un puissant aiguillon.

Si l’on choisit le critère de la qualité et surtout de l’innocuité, le capitalisme est dangereux, car pressé par la concurrence, un producteur est tenté non seulement de baisser son prix en baissant la qualité, mais surtout d’utiliser secrètement des composants dangereux qui favorisent rendement et conservation. Dans le système économique libéral, un fabriquant combine trop souvent la camelote et l’arnaque.

Un fonctionnaire, lui, n’a pas tendance à stimuler l’action, mais plutôt à la ralentir en la compliquant. Toutefois, même insoucieux du bien public, il a cette supériorité de ne pas chercher à tricher pour gagner un peu plus.

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En résumé.

Le communisme n’a pas d’accélérateur. Le capitalisme n’a pas de frein.

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« Laissez faire, laissez passer ! » est une bonne règle. Oui, mais surveillée par un gendarme.

Le capitalisme doit être contrôlé. La théorie économique de Milton FRIEDMAN, qui s’oppose vivement à toute intervention de l’Etat, institue  un capitalisme sauvage. On en voit actuellement les effets désastreux.

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Le néo-libéralisme de Milton FRIEDMAN proscrit toute intervention de l’Etat, dans le domaine économique. Cet économiste a séduit une multitude d’entrepreneurs à l’esprit marchand ; on croit les entendre sur le pas de la porte du magasin : « Je sais très bien ce que je fais, et je le fais très bien. Que les fonctionnaires, qui n’y connaissent rien, ne se mêlent pas de me donner des conseils incompétents !»

Comme s’il n’y avait pas la moindre marge entre le dirigisme le plus absolu et la plus totale abstention.

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Il est frappant de constater le cas d’une doctrine dont les effets se retournent contre son auteur.

En prônant le « tout-marché mondialisé » d’un capitalisme dépourvu de contrôle d’Etat, Milton FRIEDMAN, un Américain, a travaillé contre son propre pays, les Etats-Unis, et cela au bénéfice du principal adversaire économique, la Chine, grandement favorisée par un commerce libre de toute entrave.

Les Américains se sont rués sur le « made in China » bon marché, au détriment de leurs producteurs locaux dont les prix étaient plus élevés.

Et la Chine s’est prodigieusement enrichie, aux dépens de l’Amérique !

Un Américain a systématiquement affaibli l’Amérique, au profit de la Chine concurrente.

Autre échec : il ne s’est par rendu compte qu’il offrait à la Chine la merveilleuse occasion de souligner que son succès économique « prouvait » la supériorité de la doctrine communiste !

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Le marxisme, dans sa version communiste, officiellement revue et appliquée, a échoué. (En Occident, mais pas en Chine, un milliard quatre cent mille habitants !) La théorie initiale, celle de Marx, quoiqu’elle propose une analyse sociale partiellement exacte (car vérifiable), n’est pas une recette efficace de gouvernement ; étant plus philosophique que dogmatique, sa mise en pratique exigerait que des élites de l’esprit s’en chargent ; or, les esprits supérieurs doutent et réfléchissent. Ils ne sont pas bons pour les réalités brutales et cruelles de la politique.

Le marxisme de MARX est trop complexe. Comme mot d’ordre pour l’action, il ne convient pas. LENINE, STALINE et MAO lui ont substitué une doctrine simplifiée et efficace.

Dans le même ordre d’idées, l’Islam est très supérieur au marxisme, car une croyance franchement religieuse est, par statut, hors discussion et donc beaucoup mieux adaptée aux individus de cerveau faible et crédule, dont les chefs du Djihad ont besoin, quand ils recrutent leurs bataillons de partisans.

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La fin du communisme en U.R.S.S. a signé la mort du « marxisme » revu et corrigé par STALINE. Mais elle n’a pas ruiné le bien-fondé des analyses de MARX. Ne confondons pas : la fin du régime soviétique n’a pas aboli la lutte des classes ! En outre, un milliard quatre cents millions de Chinois sont encore officiellement communistes. (Ils en ont gardé l’importance du rôle de l’Etat.)

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Quelle que soit la doctrine officielle en vigueur, les luttes de pouvoir dominent en fait la vie politique. Au premier rang, sous le masque de la vertu, guerroient les candidats-chefs. A l’instar de mainte doctrine, le socialisme, dit « scientifique », a beaucoup pâti, lui aussi, de la lutte des EGO.

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Une manœuvre particulièrement habile est d’invoquer un principe, en feignant d’ignorer (ou en jugeant d’intérêt secondaire) le résultat prévisible de son application. Par exemple, le principe de l’EGALITE entre citoyens sert surtout à consentir les mêmes subventions aux riches qu’aux pauvres. Ou à imposer aux pauvres une taxe qui serait moins contestable, exigée des seuls riches.

Il en est de même pour les drogues. Les interdire n’empêche en rien leur succès, et confie leur commerce à la Mafia.

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Au Sénat, en 1975, G. CAILLAVET discute devant moi avec E. BONNEFOUS, Président de la Commission des Finances ; CAILLAVET se réfère d’abord à l’exemple de la taxe (parafiscale) radio supprimée, quelques années auparavant, car elle rapportait moins qu’elle ne coûtait à percevoir ; et il propose, mais en invoquant un autre motif, de supprimer pareillement la redevance de télévision ; les Français répugnant à l’acquitter, le Gouvernement hésite à augmenter son taux, (qualifié de « prix politique » ultra-sensible) proportionnellement à celui de l’inflation ; aussi le service public, à qui la recette est affectée, reçoit des moyens insuffisants pour remplir sa mission. Pourquoi ne pas supprimer la taxe en question et prélever les ressources de remplacement sur le budget national alimenté par les impôts ? Cette mesure aurait l’avantage de faire contribuer les riches plus que les pauvres.

E.B. qui est milliardaire, réplique : « Je ne vois pas de raison pour payer plus que ma concierge ! » La proposition de CALLAVET est écartée.

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Les esprits simplistes, hélas en grand nombre, ne connaissent que l’absolu des solutions extrêmes ; ils ne savent pas concevoir de nuances ; à les entendre, il faudrait croire que n’existe aucune solution intermédiaire entre la tyrannie de l’Etat totalitaire et la liberté sans restriction du Tout-Marché.

Il faudrait choisir ou le communisme stalinien le plus pur ou le désordre impitoyable du néo-libéralisme le plus sauvage.

Les petits enfants ont peur des ogres ; les adultes ont peur des bolcheviques.

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Les puissances financières ont réussi à mettre la main sur les théoriciens de l’Economie politique ; elles sont en passe d’en faire autant sur les hommes de science, dès qu’ils s’avisent malencontreusement de mettre en cause les intérêts des grandes sociétés. Les savants secrètement corrompus profèrent solennellement, au nom de la Science, les contrevérités les plus dangereuses pour la santé publique.

Les campagnes de presse se chargent de vanter les savants complaisants et de dénigrer les autres.

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Conservateur ? Oui.

Mais pourquoi faudrait-il TOUT conserver ?

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Dans les milieux « chic », il est d’usage et de bon ton d’être conservateur. Et mieux encore réactionnaire. Seuls les malappris contestent.

Les officier qui condamnèrent Dreyfus étaient, tout à la fois, antisémites, catholiques pratiquants et vieux jeu en matière de doctrine militaire. Ils préféraient la cavalerie à l’artillerie ; on parade à cheval, pas sur un canon.

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Osons un rapprochement inattendu : en refusant de reconstruire les Tuileries, les bourgeois vainqueurs des Communards ont idéologiquement donné raison à leurs victimes ; les uns et les autres se sont accordés pour juger que le palais incendié symbolisait un régime détestable.

Les Républicains ont rebâti les autres édifices, dont l’Hôtel de Ville, en imitant leur style ancien ; c’était comme effacer le temps de la Commune, la rayer de l’Histoire…

STALINE procéda de la même façon ; tout fut reconstruit, de la ville de St-Pétersbourg et des palais tsaristes, comme si Hitler n’avait pas existé, et donc que les méprisables ordres de ce vaincu avaient été inefficaces ; visuellement, il n’était plus trace de ses forfaits ; tout était nié, oublié… L’épisode de l’invasion nazie n’avait pas eu lieu.

Malheureusement pour les Tuileries, bourgeois et communards sont (implicitement mais objectivement) tombés d’accord pour anéantir un souvenir grandiose de la monarchie royale et impériale.

Chaque fois ou presque que j’évoque l’hypothèse de reconstruire ce palais, j’ai droit à la même étrange réponse : « Surtout pas ! Cela détruirait la perspective du Louvre à l’Arc de Triomphe ! » Or, justement, c’est sur l’axe des Tuileries que cette perspective fut conçue et non sur celui, assez dévié, du Louvre. De sorte que, depuis cent cinquante ans, se révèle le désordre disgracieux des formes.

Je ne sais qui inventa cette réplique, sans cesse rabâchée par des esprits paresseux qui se contentent de répéter.

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Si la plupart des automobilistes étaient multimilliardaires, ils auraient depuis longtemps fait abolir le « code de la route ».

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Ce que je condamnais dans le machisme, me voici maintenant forcé d’en accuser le féminisme : là aussi, l’oubli du sens de la mesure entraîne une dérive vers les thèses exagérées. Comme toujours, on entend surtout qui crie le plus fort, en simplifiant grossièrement une thèse initialement juste, mais de plus en plus déformée, au point que ses excès la rendent méconnaissable.

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Les dogmes gardent leur puissance, même quand l’expérience a depuis longtemps montré leur absurdité.

Quand je mets en doute quoi que ce soit de l’actuel ordre établi , j’ai l’impression d’être en 1788 et d’oser contester un usage sacrosaint de l’époque, quoique catastrophique pour les paysans, soit 80 % de la population. La chasse leur était interdite, car exclusivement réservée à la noblesse. Qui posait clandestinement des pièges ou des lacets commettait le crime de braconnage ; pris sur le fait, tout braconnier était pendu.

Dans ce passé que j’imagine, je propose de réformer le système pénal et d’accorder le droit de chasse à tout le monde sans exception. Je crois entendre protester : « Vous ne manquez pas d’audace ! Quelle inconséquence ! Ruiner un ordre millénaire ! »

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 « Le soleil tourne autour de la terre. » : cela est de l’idéologie.

« La terre tourne autour du soleil. » : cela est de la science.

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